Le 1er novembre 1954, en Algérie, des indépendantistes
commettent plusieurs dizaines d'attentats, dont certains meurtriers. C'est la
«Toussaint rouge».
Ces événements surviennent dans une Algérie française
découpée en plusieurs départements mais profondément divisée entre :
– 8 millions de
musulmans qui ont un statut d'indigène et relèvent du droit coranique
coutumier,
– près d'un million
de citoyens français : immigrants de la métropole et du bassin méditerranéen,
juifs locaux naturalisés en 1870, musulmans en très petit nombre ayant renoncé
à leur statut coranique.
De très grands écarts de niveau de vie et d'éducation
séparent les deux communautés (au recensement de 1948, un musulman sur dix
seulement déclare savoir parler le français, soit une proportion bien
inférieure à celle que l'on observe en 2000). Les clivages sociaux sont
entretenus et aggravés par l'opposition constante, des Européens et assimilés,
à toute concession politique à la majorité musulmane. Malgré cela, les
indépendantistes, surnommés «fellagha» (coupeurs de route ou bandits de grand
chemin), sont encore très minoritaires et sans soutien consistant dans la
population musulmane.
Joseph Savès
Un soulèvement peu médiatique
Quelques mois plus tôt, en Indochine, les Français ont été
défaits par le Vietminh. Les indépendantistes algériens y voient un
encouragement à se lancer à leur tour dans la lutte armée contre la puissance
coloniale, bien qu'ils soient en très petit nombre (quelques centaines au plus)
et presque totalement dépourvus d'armes.
Divisés en plusieurs partis, dont le MTLD de Messali Hadj et
l'UDMA de Ferhat Abbas, ils forment au printemps 1954 un Comité révolutionnaire
d'union et d'action (CRUA). Celui-ci choisit la date du 1er novembre pour déclencher
l'insurrection. Une trentaine d'attentats plus ou moins désordonnés ont lieu en
ce jour de la Toussaint : récoltes incendiées, gendarmerie bombardée...
On compte au total dix morts (*). Les deux premières
victimes, assassinées la veille de la Toussaint, sont deux Français d'Algérie :
un chauffeur de taxi de confession juive, Georges-Samuel Azoulay et Laurent
François, libéré depuis 6 mois du service militaire. Les autres victimes sont
l'agent forestier François Braun, l'agent de police Haroun Ahmed Ben Amar et
quatre appelés : le soldat Pierre Audat et le brigadier-chef Eugène Cochet,
tués en pleine nuit dans le poste de Batna, dans le massif des Aurès, ainsi
qu'André Marquet et le lieutenant Darneaud. Sont également tués le caïd Ben
Hadj Sadok et Guy Monnerot, qui voyageaient ensemble.
La mort de ce dernier émeut plus particulièrement l'opinion.
Ce jeune instituteur est venu de la métropole avec son épouse pour instruire
les enfants du bled. Leur autocar est attaqué dans les gorges de Tighanimine. Ils
sont extraits du véhicule ainsi que les autres passagers et touchés par une
rafale de mitrailleuse destinée au caïd Hadj Sadok.
Guy Monnerot succombe sur le champ mais sa femme Jeanine
survivra à ses blessures. Les meurtriers des deux Français auraient enfreint
l'ordre de ne tuer que le caïd, membre de l'élite musulmane francophile. Ils
auraient été plus tard sanctionnés par leurs chefs.
Le ministre de l'Intérieur, François Mitterrand, promet de
mettre tout en oeuvre pour arrêter les «hors la loi». Avec emphase, il déclare
le 12 novembre 1954 : «Des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation,
un seul Parlement. C'est la Constitution et c'est notre volonté».
En définitive, les attentats de la «Toussaint rouge» ont
très peu de retentissement dans l'opinion française et la presse métropolitaine
en fait à peine écho. Ils n'en marquent pas moins le début de la guerre
d'Algérie, huit années de tourments qui ont marqué durablement les esprits et
les coeurs des deux côtés de la Méditerranée.
Naissance du FLN
Le Front de Libération Nationale (FLN) est créé au Caire,
peu après la «Toussaint rouge», par Ahmed Ben Bella, un indépendantiste en
rupture avec le MTLD de Messali Hadj, qu'il juge trop modéré [ne pas confondre
avec le FNL vietnamien, créé en 1960].
Dès lors, le mouvement indépendantiste et les messalistes,
rassemblés au sein d'un nouveau parti, le MNA (Mouvement National Algérien),
vont se disputer à couteaux tirés les faveurs des travailleurs algériens en
métropole. L'historien Benjamin Stora évalue à 4.000 les victimes de ces
règlements de comptes en métropole, de 1954 à 1962. C'est près de 2% des
Algériens de la métropole.
En Algérie même, le FLN évite les batailles rangées et s'en
tient à des massacres de civils, essentiellement des notables musulmans
favorables à la France. Ces derniers sont torturés, mutilés et assassinés avec
un raffinement de cruauté.
Échec de la pacification
Le 25 janvier 1955, le président du Conseil Pierre Mendès
France nomme au gouvernement général de l'Algérie l'ethnologue Jacques
Soustelle (44 ans), homme de gauche, pacifiste, résistant et gaulliste de la
première heure. Il est accueilli fraîchement par les Européens mais très vite
se rallie à la thèse radicale de l'intégration. Contre les colons et les
indépendantistes musulmans, il prône l'octroi de la nationalité française
pleine et entière à tous les habitants des trois départements.
N'arrivant pas à retourner la population musulmane en sa
faveur, le FLN change bientôt de tactique et multiplie les attentats dans le
bled (la campagne).
Les pouvoirs publics reprennent en main la population
musulmane des douars (villages) grâce à des mesures sociales et au regroupement
des populations en des lieux prétendument sûrs (à la fin de la guerre,
1.250.000 paysans auront été ainsi déplacés). Ces tâches de terrain à caractère
humanitaire sont confiées aux Sections Administratives Spéciales (SAS), animées
par des officiers aguerris et de bonne volonté.
Dans le courant de l'année 1956, le gouvernement de Front républicain du
socialiste Guy Mollet intensifie les actions militaires en Algérie. Il envoie
sur place non plus seulement des engagés (militaires professionnels), comme en
Indochine, mais aussi des conscrits et même des réservistes). Le service
militaire est porté à trente mois et les effectifs engagés dans ce que l'on
appelle pudiquement les «opérations de maintien de l'ordre» ou «de
pacification» ne tardent pas à atteindre 400.000 hommes.
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